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EDITORIAL - Franck Michel et Aggée C. Lomo Myazhiom, Le Détour, ed. H&A 2003, p. 5-6.
Au moment où les « nouveaux réactionnaires » enfilent avec un cynisme désopilant les habits de l'anti-conformisme à la sauce « France d'en bas », l'univers intellectuel hexagonal vogue à la dérive. La marginalité, voire la réclusion ou la sortie (temporaire) du monde, restent les derniers repaires (et repères) des parias de l'ordre intellectuel établi. Voilà 25 ans que Renaud chante « Hexagone » sans que le texte n'ait eu à souffrir d'une ride, et la dinde aux marrons n'a toujours pas étouffé les conservateurs les plus rétrogrades de ce vieux pays. Demain, on (re)dira que « la France s'ennuie », on l'aura quand même bien cherché. Mais cela, c'est pour demain, pas aujourd'hui. Les clercs véritables, ceux qui peuvent encore se regarder dans une glace, se cachent à nouveau, à l'abri des médias omnipotents et à l'ombre des querelles de salons parisiens qui, finalement, n'intéressent plus guère que ceux qui, depuis belle lurette, n'ont plus rien à dire (ou même à redire puisqu'on entend toujours les mêmes dire la même chose). L'heure n'est plus - ou pas encore - au combat frontal mais à la résistance, à la fois active et discrète. Car l'actuel vent mauvais n'exclut pas la menace d'une tempête à venir. Qui peut prédire de quoi demain sera fait ? Dans ce contexte pour le moins morose, peut-être faudrait-il pour un temps, dans l'attente de jours meilleurs, d'un improbable « printemps des peuples », préférer l'oralité à l'écriture. Privilégier les mots qui courent et s'affolent à ceux qu'on dénichent trop facilement et qui ensuite « fichent » (en l'air ?) nos vies. Des voix nouvelles et furtives plutôt que des traces écrites parfois fumeuses et dangereuses. Ou l'oral au secours de l'écrit ! Une voie délicate puisque, comme le notait René Char :
« Seules les traces font rêver ».
Pendant ce temps, le monde bouge. Mal. Dans le berceau de ce que fut la Mésopotamie de modernes envahisseurs assermentés fantasment d'un remake de « Mad Max ». En Irak donc, l'Amérique va-t-en guerre et triomphante de Bush, inconsciente et belliqueuse, joue et se joue de la géopolitique. Là aussi, la population irakienne, impuissante et excédée, préfère les mots de la rue aux maux du pouvoir, de tous les pouvoirs, notamment ceux du nouveau Saladin et de l'Oncle Sam. A l'image de cet Irakien dont les propos ont été cités dans les colonnes du Monde à la fin du mois de janvier 2003, et qui, sur un ton d'humour, résume la situation bien mieux que le journal télévisé du soir : « Si les inspecteurs trouvent des armes, c'est que nous avons menti, et c'est la guerre ! Et si les inspecteurs ne retrouvent pas d'armes, c'est que nous les cachons, donc que nous mentons, et c'est aussi la guerre ! L'Amérique nous offre le choix, c'est formidable ». La guerre est une absurdité immonde, l'histoire du XXe siècle - déjà bien loin aux yeux de certains - devrait suffire à le prouver. Et à nous en dissuader, et en ce domaine au moins, la voix de la France résonne plus juste et plus raisonnable que d'autres. Et les Irakiens ? Il leur est plus facile d'en plaisanter car mieux vaut toujours en rire, malgré le désespoir et les privations de toute une population. Tant qu'il y a des mots pour rire, il reste de l'espoir, même infime, non d'éviter une guerre voulue et prévue « à tout prix », mais de préserver une fenêtre ouverte sur un autre monde que celui qu'on nous impose. Momentanément.
EDITORIAL - Franck Michel et Aggée C. Lomo Myazhiom, Le Détour, ed. H&A 2003, p. 5-6.
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